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Agathe Côté

Sous-gouverneure à la Banque du Canada Ce dont rêvait cette fille d'agriculteurs de Saint-Joseph, un petit village près de Saint-Hyacinthe, c'était de gérer des entreprises.

Ce dont rêvait cette fille d'agriculteurs de Saint-Joseph, un petit village près de Saint-Hyacinthe, c'était de gérer des entreprises.

Mais, dès son premier trimestre à HEC Montréal, le cours obligatoire de macroéconomie l'enthousiasme tant qu'elle abandonne l'école de gestion pour s'inscrire au Département de sciences économiques de l'Université de Montréal.

La macroéconomie, cela concerne les politiques économiques des États (productivité, chômage, inflation, consommation, produit intérieur) alors que la microéconomie analyse le comportement individuel des consommateurs et des entreprises. « C'était passionnant, et la matière me le rendait bien : j'avais beaucoup de facilité », raconte Agathe Côté en se rappelant ses années d'études. Théorie monétaire, économétrie, régulation des flux, courant keynésien, monétarisme, elle en mangera pendant cinq ans, ayant continué deux années à la maîtrise. La vie étudiante et les fêtes n'étaient pas pour elle. Elle avait été très bonne élève au secondaire, mais plus dissipée au cégep, alors elle a mis les bouchées doubles à l'université.

Parler pour parler, ce n'est pas tellement le genre des grands mandarins de la Banque du Canada, où chaque communiqué, calibré à la virgule près, est soupesé par les exégètes de la finance. Mais l'économiste de 57 ans, confortablement assise dans un des fauteuils en cuir vert de la salle Graham-Towers, au siège social d'Ottawa, devient volubile quand elle évoque les professeurs qui l'ont marquée, à commencer par Daniel Racette, qui fut son directeur de recherche à l'UdeM. « Daniel était un excellent professeur, mais aussi un excellent vulgarisateur, qui accordait beaucoup d'importance au métier de l'enseignement », relate-t-elle.

Passé à HEC Montréal en 1984, il se souvient de son ancienne étudiante, même s'il était un tout jeune enseignant. « Cela ne m'étonne pas qu'elle soit devenue la première femme francophone au poste de sous-gouverneur, dit le professeur émérite de l'École. Agathe était une étudiante brillante et rigoureuse, qui ne parlait pas beaucoup, mais qui comprenait extrêmement bien la théorie. »

Quatre diplômés à la Banque

À l'époque, le Département de sciences économiques de l'Université de Montréal était très orienté sur la macroéconomie et la politique monétaire, commente Agathe Côté. « Quand je suis entrée à la Banque du Canada en 1982, nous étions quatre diplômés de l'Université de Montréal à être embauchés en même temps. On n'a pas souvent vu cela. »

L'ambiance « très universitaire » de l'organisme lui plaît dès le jour un, même si ses débuts au bas de l'échelle sont difficiles. « Je travaillais aux études spéciales tout en rédigeant mon mémoire de maîtrise, et c'était un vrai mémoire, pas juste un devoir de session un peu plus étoffé; cela me demandait beaucoup de travail. »

Daniel Racette regrette encore qu'Agathe Côté n'ait pas entrepris de doctorat : « Elle avait tout ce qu'il fallait. » Agathe Côté reconnaît que l'appel du doctorat était très fort, mais l'économie appliquée l'intéressait plus que la recherche pure. Elle, ce qu'elle aimait, c'était le métier fondamental de la Banque du Canada : fixer le taux directeur huit fois par an, une tâche qui fait appel à toutes les données macroéconomiques recueillies et qui consiste à déterminer à quel taux la Banque du Canada prête les dollars aux banques canadiennes.

La banque des banques

Une banque centrale, c'est la banque des banques. Sa fonction : assurer les flux monétaires. Si l'économie manque de billets bleus, mauves, verts, roses ou bruns, c'est le marasme. S'il y en a trop, c'est la surchauffe et l'inflation galopante. Tout le travail consiste à trouver le juste milieu. Et c'est ainsi que, d'études en consultations, le gouverneur et son cercle restreint de sous-gouverneurs établissent un taux directeur, qui est son principal moyen d'action sur l'économie.

La Banque du Canada célèbre son 80e anniversaire cette année [2015] et Agathe Côté est particulièrement fière d'y avoir vécu l'une des grandes dates de son histoire, en 1991. Elle était alors chef d'un petit groupe d'économistes spécialisés dans l'analyse des taux de change et du commerce international. Depuis le choc pétrolier de 1973, l'économie mondiale était plombée. L'inflation oscillait entre 4 et 13 % par an. Les économistes se débattaient avec des phénomènes nouveaux comme la stagflation, qui combine inflation et stagnation économique, contredisant ainsi toute la théorie classique. Le gouvernement de Brian Mulroney décide, de concert avec la Banque du Canada, de juguler l'inflation à l'intérieur d'une cible très étroite, entre 1 et 3 %. Seule la Nouvelle-Zélande avait osé le faire. Il faut dire que le remède de cheval demande du courage : « La façon dont on y est arrivés, c'est en créant une récession », mentionne Agathe Côté.

« C'est allé plus vite et mieux que prévu », ajoute-t-elle, expliquant que le facteur décisif aura été l'ancrage dans les perceptions. « Pour que de telles mesures fonctionnent, il faut que tout le monde perçoive que l'inflation sera stable et que, par exemple, les entreprises et les travailleurs cessent de tabler sur des hausses de 10 ou 12 %. » Bref, c'est ici que la macroéconomie touche à la psychologie de masse et au politique. « La communication est un des instruments de la politique monétaire. »

Agathe Côté est devenue conseillère du gouverneur Mark Carney en 2008, en pleine récession mondiale. Son travail consistait à prévoir les effets de la crise sur l'économie canadienne et à élaborer un cadre de conduite de la politique monétaire dans un contexte de taux d'intérêt à la borne inférieure.

Sous-gouverneure depuis 2010, Agathe Côté sera de toutes les décisions pour la prochaine année charnière de la Banque du Canada. En 2016, l'organisme et le gouvernement canadien doivent renouveler l'entente quinquennale sur les cibles d'inflation. Restera-t-on autour de deux pour cent ? Un peu plus, un peu moins? « Les études commencent à peine, et nous verrons ce qu'elles concluront », indique Agathe Côté, qui revient à la discrétion coutumière de la Banque du Canada. « C'est clair que le régime a très bien fonctionné. On a eu énormément de succès jusqu'à maintenant. Et donc la barre est très haute pour changer. »

Jean-Benoît Nadeau